* Textes d'ateliers *
Il n’y a pas que les images qui peuvent déclencher l’écriture. La lecture de textes à haute voix le peut aussi, à l’exemple de ces trois courts textes nés d’ateliers menés par Louis Lafabrié, poète et lecteur hors-pair, dont la voix seule a fait émerger la Manche, un paysage côtier, une jeune femme et une grand mère âgée…
Trois textes, mâtinés de ma Normandie natale, de mes ancêtres Terre Neuvas et des falaises de craie blanche du Pays de Caux. J’y vois Olga, ma petite grand-mère aux cheveux d’argent. Je la vois sur cette terre que je connais à peine. Elle m’invite à regarder la maison près du phare. Un autre phare. Elle m’invite à regarder vers l’Angleterre, là-bas. Vers le pays de Galles, vers l’Irlande. Elle vient me parler à l’oreille. Ma chère, chère grand-mère, que je connais si peu. Je vois tes yeux bleus. Je sens ton parfum de violette. J’entends encore ta voix. J’entends nos rires de gosses. J’entends presque le chant des mésanges et le bêlement des moutons…
Atelier #1 – Je me suis assise face à l’océan bouillonnant, mes deux pieds enfoncés dans le sable que des bourrasques de vent soulèvent et emportent ailleurs. De temps en temps, une mouette pousse un cri. Je lève les yeux et la regarde tournoyer dans les airs. Puis je plonge à nouveau mon regard dans les vagues et reviens à mes pensées. L’attente se fait longue.
Hier soir comme chaque soir, j’ai vérifié la lanterne du phare. Son éclat blanc, intermittent, m’a rassuré. J’ai fermé le volet et je suis retournée à mon fourneau. J’ai soulevé le couvercle de la casserole et remué le ragoût avec la grosse cuillère en bois. Celle dont je m’étais servie, un jour que tu me taquinais, pour t’en mettre un coup sur la tête. Ce souvenir fit monter un sourire à mes lèvres et des larmes à mes yeux.
J’ai reposé doucement le couvercle, ouvert le vaisselier d’où j’ai sorti deux assiettes, le pichet de vin, ton verre, ton couteau. J’ai disposé la table comme à mon habitude. Ton couvert du côté de la fenêtre. Le mien vers la cheminée. Le ragoût parfumait la pièce et la pendule sonna huit coups. Je mis une bûche dans le feu et j’arrangeai ma chevelure. Ce soir, tu rentrerais…
Atelier #2 – Le grand bateau se cabre en rythme. Chaque creux amène des paquets de mer jusque dans la cabine. Fermement agrippé à la barre, je patauge dans le liquide salé et froid qui s’immisce dans le moindre interstice de mes vêtements et jusqu’au plus intime repli de ma peau.
J’ai déjà perdu deux hommes. Tour à tour j’ai vu la tâche jaune de leur ciré flotter puis disparaître sous les flots agités et mousseux. Je ne leur donnerai pas ma vie. Pas plus que celle du jeune matelot tétanisé qui cherche à ne rien montrer de sa peur. Pas plus que celle des hommes de bord.
Depuis des jours, à terre, dans la maison près du phare, une femme attend. Malgré sa jeunesse, ses cheveux grisonnent déjà. Dans le fracas des vagues déferlant sur la coque, j’aperçois son visage et j’entends son rire. Je la vois danser sur la lande, sa longue robe bleue sous un tablier blanc. Cheveux et rubans dans le vent, les yeux pleins de joyeuses larmes, les mains posées sur son ventre déjà rond, elle tournoie au gré d’une valse muette. Sombrer n’est pas envisageable. Coûte que coûte, je rentrerai.
Atelier #3 – Puisque tu n’es pas rentré j’ai dîné seule avant de m’installer dans le vieux fauteuil rouge, près de la cheminée. Dehors, la nuit drape le monde. À terre comme en mer, phares et étoiles guident humains et bêtes.
Les yeux fermés, je laisse mon esprit flotter au gré du ressac. Partir. Et revenir.
C’est un soir sans vent. Un de ces soirs où le silence se fait plus lourd. Où le silence convoque la solitude et fomente avec elle de noirs desseins.
Silence et Solitude. Je les connais bien tous les deux. Il est arrivé, dans le passé, qu’ils me prennent dans leurs filets. Un temps aujourd’hui révolu car dans mon ventre pousse un petit être qui me met pour longtemps à l’abri et de l’un, et de l’autre.
Le cri d’un hibou, du côté de la Grange aux Belles, met fin à ce mauvais songe. Le feu siffle, crépite et lance vers moi quelques braises incandescentes. Je les regarde noircir en mourant et les pousse du pied, un peu.
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