Les aventures de Jeanne Lançon (ou la vie alternative de Paul Éluard)
Un mois avait passé depuis que j’avais décidé de faire de Cyclone mon nouvel employeur. Un mois durant lequel il me parla beaucoup du BRS. Comment il était né, un mardi de juin ; comment les héritiers clandestins s’étaient retrouvés ; comment ils se mettaient à la recherche des œuvres disparues, la plupart du temps de façon souterraine.
Il m’apprit ce que je devais savoir du mouvement Surréaliste, dont je ne connaissais que les grandes lignes. Je découvris avec bonheur quelques parties cachées de la vie de Paul Éluard et approfondis la découverte de son œuvre. Moi qui n’avait aucune idée de ce qu’était l’amour, je tombais amoureuse des « Lettres à Gala ». Élevée par ma tante dans le plus grand des conformismes, j’avais quitté les Beaux-Arts pour la faculté de Droit, étais devenue secrétaire juridique et mon monde se situait quelque part entre rationnel et cartésien. J’étais fascinée par cet immense poète, écrivain engagé ; séduite par la fantaisie du mouvement surréaliste. Quelque chose pétillait dans cet univers. Quelque chose qui m’avait manqué.
Comme convenu deux jours plus tôt, je retrouvai Cyclone Gare Saint Lazare en milieu de matinée. Valise et panier à provisions à la main, je m’avançai vers lui. Sur le quai, buffet ambulant, vendeurs de journaux, porteurs de bagages, serpentaient entre les voyageurs pressés de trouver leur place. Voiture 16, compartiment 9. J’aidai Cyclone à se hisser dans le wagon et nous nous dirigeâmes vers notre compartiment.
Dans le couloir, des passagers fumaient et observaient le quai par les vitres baissées. Penchés par les fenêtres, certains discutaient avec un proche venu les accompagner. Un homme tenait la main d’une femme restée sur le quai. D’autres tendaient de l’argent en échange de sandwiches ou de boissons fraîches.
– Places 95 et 96. Nous y sommes !
Laissant mon compagnon s’assoir, je glissai nos deux valises dans les filets à bagages et m’installai face à lui.
Pour une raison qui lui était propre, Cyclone avait tenu la destination secrète, mais nous embarquions à bord d’un Express en partance pour la Normandie. De plus, des photographies accrochées au-dessus de nos sièges illustraient les étapes du trajet. Évreux, Pont-L’Évêque, Lisieux, figuraient parmi les destinations probables.
Le train démarra lentement.
Durant le trajet, nous parlâmes peu. Cyclone avait extirpé de son cartable un carnet vert aux pages couvertes de notes écrites à l’encre noire. Parmi elles, j’apercevais des croquis, sans vraiment distinguer ce qu’ils représentaient.
Il griffonna quelques mots, releva la tête et me dit :
– J’ai une petite maison aux Roches Noires, aux alentours de Villerville. Gérard Galais, qui se mue en factotum quand je suis dans la région, nous attendra à la gare et nous y conduira. Je vous mettrai au courant des tenants et des aboutissants de notre affaire autour d’un bon repas. Il y a des choses dont on ne peut pas parler le ventre creux.
Je ne pouvais qu’approuver.
Une heure après notre départ, je sortis de mon panier une Thermos pleine de café fumant et des pains au lait préparés dans la nuit. J’avais gardé de l’enfance un goût particulier pour les repas pris dans les trains. Les sons, l’ondulation, l’atmosphère feutrée du compartiment où je me sentais comme dans une bulle me réconfortaient.
Cyclone semblait lui aussi apprécier ce moment et il cessa de griffonner pour déguster les pâtisseries. Nous échangeâmes quelques mots au sujet de la météo, du paysage, et je le questionnai sur notre point de chute : nous nous rendions dans une maison-phare rachetée trente ans plus tôt pour une bouchée de pain et petit à petit restaurée.
Je terminai mon café en regardant défiler le paysage. Tatan tatan, tatan tatan, tatan tatan… Je me laissai bercer par le roulis et plongeai dans une rêverie où des vaches bigarrées regardaient passer des trains express gonflés de voyageurs repus et somnolents.
hâte de lire la suite……