Naissance d'un personnage de fiction
Naissance d'un personnage de fiction
Je m’appelle Jeanne. Jeanne Lançon. Je suis un personnage de fiction né d’un cadavre exquis au cœur d’un atelier d’écriture créative. Je me souviens du jour de ma naissance.
C’était un soir d’hiver. La salle était immense et froide mais l’ambiance chaleureuse. Autour de la table, douze écrivains s’adonnaient à des jeux d’écriture. Puis il y a eu le cadavre exquis. Deux phrases, quelques mots, et je suis apparue.
Je suis restée longtemps secrète, en tête à tête avec mon autrice. Mais elle a décidé que le temps était venu de me jeter à l’eau et de partir à la rencontre des lecteurs. Alors je vais vous en dire un peu plus sur moi.
Je vis dans un deux-pièces du XVIIIe arrondissement de Paris, sous les toits, et mène une vie sans histoires, sans même un chat. Mon style vestimentaire peut sembler désuet. La mode m’ennuie. Si vous me croisiez dans la rue, vous remarqueriez que mes cheveux sont châtains, portés en queue de cheval ou en chignons et qu’hiver comme été mes pieds sont chaussés de ballerines. Je suis banale, hormis des yeux vairons derrière des lunettes en écaille.
J’occupe un poste de secrétaire juridique au sein d’un cabinet notarial. Mes journées s’écoulent sans encombre : bus 86 à 08 heures 07, ascenseur en panne, escaliers, échanges quelconques entre collègues, dossiers ordinaires, notaire voûté, escaliers, bus 86 à 16 heures 40.
Arrivée rue du Mont-Cenis, passage à l’Étoile de Montmartre. Je m’assois près du juke-box, commande un Kir-framboise, sélectionne quelques titres à écouter, souvent de la pop anglaise, avant de retrouver mon deux-pièces sous les toits. Je me douche puis m’adonne à mon péché mignon : cuisiner.
Ensuite je dîne et finis la soirée en fumant quelques blondes sur le rebord de la mansarde. En regardant vivre le voisinage, par les fenêtres éclairées.
Jusqu’à cette après-midi ensoleillée où, dans le bus 86, j’ai rencontré un vieil homme qui a tout chamboulé, ma vie était d’une platitude hors du commun…