Les aventures de Jeanne Lançon (ou la vie alternative de Paul Éluard)
Je m’endormis profondément et me réveillai habillée, une écœurante odeur de tabac froid arrivant tout droit du cendrier posé sous mon nez. La tempête avait cessé et un soleil généreux inondait la pièce. Je me levai, attrapai les jumelles et observai les alentours. Côté mer, quelques voiliers filaient vers le large. Côté lande, rien d’autre que la végétation.
Je descendis à la cuisine et fis chauffer de l’eau pour le thé. Je la regardai pensivement monter à ébullition puis ouvris les placards, qui à la lumière du jour s’avérèrent très bien garnis, et remontai dans la chambre, un plateau de petit-déjeuner dans les mains.
M’installant à la table basse, je baissai les yeux et découvris un morceau de papier. C’était celui sur lequel, la veille au soir, j’avais griffonné quelques notes, comme pour laisser une trace de mon passage :
« Je m’appelle Jeanne. Jeanne Lançon. Je suis ici car j’ai suivi un vieil homme et son chauffeur, mais tous deux ont disparu. Ils sont partis et le vent s’est levé. Et le vent a traîné derrière lui un orage.
Je m’appelle Jeanne. Jeanne Lançon. Je vous parle d’un phare du haut duquel je contemple le monde. Cette nuit, j’ai découvert combien ma vie était plate. Je voudrais la rendre ronde comme la Terre et la faire bondir par monts et par vaux.
Je m’appelle Jeanne. Jeanne Lançon. Je viens de passer la nuit dans ce phare. J’ai de quoi boire et de quoi manger et encore quelques cigarettes mais demain, quelque soit le temps, je vais affronter ma peur. Je vais retourner dans la maison. Je vais attendre le vieil homme et son chauffeur. Ils vont bien finir par rentrer. »
Je reconnus entre les lignes quelques empreintes de whisky, j’avalais rapidement mon petit-déjeuner, décidai de me doucher, passai mes vêtements empestant le tabac et descendis l’escalier en colimaçon jusqu’à la sortie. Aussi discrètement que possible, j’ouvris la porte du phare et me glissai dans la galerie. Sur ma gauche, à mi-chemin de la maison, une porte donnait vers l’extérieur. Je tournai une vieille clé qui grinça dans la serrure et l’ouvris rapidement. Une bouffée fraîche et iodée s’engouffra dans mes narines. Je sortis, bouclai la porte derrière moi, emportai la clé et me dirigeai vers la maison, que j’atteignis rapidement. La porte d’entrée n’avait pas été fracturée, mais je constatai qu’elle n’était pas fermée à clé. La poussant avec précaution, j’entrai dans le vestibule baigné de lueurs multicolores. Je tendis l’oreille. Pas un bruit. Je me rendis au salon que je traversai jusqu’à la véranda. Pas de trace humaine, mais il me sembla que ma machine à écrire avait changé de place. Retenant mon souffle, je m’approchai de la cheminée et m’emparai du tisonnier. Je sortis de la pièce et m’engageai dans le couloir biscornu jusque dans la salle d’eau. Rien. J’en sortis et rejoignis la cuisine, où je notai quelques objets qui semblaient avoir été déplacés. J’entrai ensuite dans la chambre de Cyclone.
De prime abord, tout semblait normal, mais à y regarder de plus près, certains détails attirèrent mon attention. La porte de l’armoire entrouverte, le tiroir de la table de nuit mal fermé. Quelques documents en désordre sur le secrétaire. Je ne pouvais rien affirmer mais il me sembla que cette pièce avait été fouillée.
Toujours armée du tisonnier, je montai à l’étage et continuai mon inspection. Je pris le temps de vérifier sous les lits, dans les armoires, derrière les portes. Rien de flagrant, mais de petits doutes subsistaient. Si je pouvais facilement oublier des prénoms ou même certains événements, je disposai d’une mémoire photographique à toute épreuve. Et quelque chose me disait que la maison avait reçu de la visite.
Partagée entre doute et soulagement, je me laissai tomber sur mon lit et fouillai mon sac à main à la recherche de la carte du BRS. Ne le trouvant pas, j’en renversai le contenu. Briquet, miroir, répertoire, chéquier, porte feuille, rien ne manquait, sauf cette carte. Je finis par la retrouver au fond d’une des pochettes et ne pus m’empêcher de me demander si c’est bien là que je l’avais laissée.
Carte en main, je descendis dans l’entrée, attrapai le combiné de téléphone et composai le numéro sur le cadran. Au bout du fil, une voix m’apprit que le numéro que je demandais n’était pas en service actuellement.
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