Les aventures de Jeanne Lançon (ou la vie alternative de Paul Éluard)
Une faible lumière éclairait le rez-de-chaussée. J’entamai l’ascension à la lueur de mon briquet. Au premier étage, je pénétrai dans une pièce assez vaste, une cuisine, me dirigeai vers un plan de travail, m’y adossai et repris mon calme. Avais-je bien vu ? Qui serait assez inconscient pour affronter les éléments de nuit, par vent de force sept, sur cette lande de terre isolée ? Et dans quel but ? Je m’approchai d’une des petites fenêtres et tentai d’apercevoir quelque chose. La végétation s’ébrouait côté lande. Côté mer, je ne distinguai qu’un bouillonnement lointain et des brassées d’écume se fracassant contre la falaise. Je reculai, posai mes fesses sur le bord de la table, jambes et bras croisés, et fis le point. J’avais quitté mon domicile depuis moins de quarante huit heures et je me retrouvai retranchée dans un phare pour échapper à un rôdeur. Les seules personnes que je connaissais – à peine, s’étaient envolées dans la tempête et, courageuse mais pas téméraire, je refusai de retourner dans la maison. Je trouvai le phare sécurisant et estimai préférable de le visiter et de m’y installer pour la nuit.
Rallumant mon briquet, j’inspectai les placards et fis un rapide et satisfaisant inventaire des denrées alimentaires, puis montai au deuxième étage où je découvris une chambre, une salle de bains et un bureau. Au troisième, un grand salon avec, en son centre, un escalier en colimaçon menant vers la lanterne. En lieu et place du système optique se trouvait une chambre panoramique. Sur ma droite, une épaisse cloison de verre dissimulait une salle d’eau. Dans l’obscurité, je traversai la pièce et me heurtai à un meuble bas. Je maugréai et me frottai vigoureusement le tibia. Je venais d’entrer en collision avec un guéridon sur lequel trônait négligemment une paire de jumelles. Je les pris, m’approchai des vitres en boitillant et épiai les alentours. À part le vent, les éclairs, les paquets de mer et le bruit de l’orage, rien ne me parut suspect
Je pensai à haute voix : « Bon et bien, maintenant que je suis là, qu’est-ce que je fais ? » Pour commencer, je cherchai quelque chose à boire. Quelque chose de fort, de préférence.
Je descendis au salon. Mes yeux s’étant habitués à l’obscurité, je repérai un bar dans une mappemonde ouverte. Je sortis deux bouteilles d’alcool blanc auxquelles je ne trouvai pas d’intérêt. La troisième avait une forme plus arrondie. Elle me plut. Du whisky. Je ne regardai pas la marque, je n’y connaissais rien, mais je sentis que c’était exactement ce qu’il me fallait. Je trouvai un verre et m’en servis une longue rasade. Je remontai dans la chambre, m’installai dans un profond divan de velours foncé, allumai une cigarette et goûtai le scotch. Il me brûla la gorge et je trouvai cette première gorgée infecte. Puis le goût se modifia et je portai à nouveau le verre à mes lèvres. Cette fois, l’alcool libéra ses arômes et une douce chaleur monta lentement à mes tempes. Je me calai dans le sofa et me détendis complètement.
Orage et pluie, pas de bougies.
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