Les aventures de Jeanne Lançon (ou la vie alternative de Paul Éluard)
– Nous partons du principe que la toile se trouve près de Mougins, chez André Desmarets, l’ancien régisseur. Ce monsieur vit aujourd’hui dans son mas avec sa petite-fille, Isabelle, qui s’occupe de lui. Il est très âgé et souffrirait de Parkinson. Isabelle est la seule famille qui lui reste. Je l’ai jointe par téléphone et nous avons convenu d’un rendez-vous. Elle m’a soutenu ne pas connaître l’existence de la toile, ce qui est possible. Mais je compte sur notre rencontre pour l’inciter à la chercher. Nous avons décidé de lui proposer une contrepartie financière. Il arrive que l’argent soit une bonne motivation.
Puis, s’adressant à Gérard :
– Pourriez-vous nous concocter un de ces itinéraires dont vous avez le secret ? Nous partirons après-demain à l’aube. Ça nous laisse le temps de préparer le voyage et de prendre des forces, avant de nous embarquer pour le Sud.
En bonne juriste que j’avais été, une question me taraudait : si le régisseur avait fait main basse sur le tableau, volontairement ou par omission, cela s’apparentait à du vol. Il se rendait coupable de recel et la toile ne lui appartenait pas. Mais si ce vieux monsieur venait à décéder, son héritière en deviendrait détentrice de bonne foi. Ce qui changeait considérablement la donne : il faudrait lui acheter le tableau. Et il semblait valoir une fortune.
Nous achevâmes notre repas en théorisant sur les diverses possibilités de retrouver, ou non, le cadavre exquis, et sur celles de n’être pas les seuls à le chercher. Cyclone avait entendu dire qu’un collectionneur s’y intéressait de près. On évoquait même la trace des frères Campiciani, deux limiers douteux œuvrant dans le monde de l’art et qui, un jour de chance, avaient réussi l’exploit de rendre à son propriétaire un Picasso volé. C’est sur cette base, agrémentée de faits d’armes plus ou moins avérés, qu’ils se taillèrent une réputation.
– Ils travaillent surtout pour des collectionneurs-placards, nous dit Cyclone. C’est comme ça que j’appelle ces personnes fortunées qui transforment leurs demeures en musée. Une chambre par artiste. Leur maison est blindée. Pire que la Banque de France. En dehors des domestiques et des maîtres de maison, les œuvres ne voient jamais personne.
Nous laissant au salon, Cyclone se retira dans sa chambre. J’en profitai pour assouvir ma curiosité. Qui était Gérard ? Comment avait-il rencontré Cyclone ? Où vivait-il ? Avait-il un autre métier que celui de chauffeur occasionnel ?
Jouant avec son bilboquet, il s’amusa de toutes mes questions et m’apprit, dans le désordre : qu’il avait tenté d’être jockey, – Je suis trop grand ; pilote de course, – Pareil. En plus dangereux. ; coursier à moto, – Trop froid, trop pluvieux, trop mal payé, avant de tenter livreur de sang pour les hôpitaux. – Pas mon truc, le sang. Rien que d’y penser, ça me fait tomber dans les pommes. Il devint donc chauffeur de vedettes célèbres à Deauville, et c’est ainsi, lors d’une exposition d’art contemporain, qu’il rencontra Cyclone.
Puis, Gérard m’expliqua comment Cyclone avait fait restaurer la maison de gardien et le phare.
– Un boulot titanesque. Surtout le phare. Il y va moins souvent depuis deux ou trois ans, trop de marches à monter et descendre. Mais ses enfants y viennent, le week end et pendant les vacances. Allez le visiter quand vous voulez. On y accède par la porte bleue, sous l’escalier. Normalement la clé du phare est dans un vase, au bout de la galerie.
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