Les aventures de Jeanne Lançon (ou la vie alternative de Paul Éluard)
Chez Lili comme ailleurs, le téléphone ne fonctionnait pas. Alors qu’elle préparait le café dans la petite cuisine, je lui annonçai que je descendais chercher le journal. J’entendis un lointain « Okay! », sortis de l’appartement et me dirigeai vers la Maison de la Presse.
Au moment où j’entrai dans la boutique, je découvris avec stupeur le titre qui faisait la une :
« LE PEINTRE CYCLONE-TUAMOTU TAIIRI A DISPARU » – lire en page 2.
J’attrapai rapidement le quotidien, renversai le contenu de mon porte-monnaie sur le comptoir, payai et retournai chez Lili en courant.
Adossée au montant d’un colombage, elle tournait tranquillement sa cuillère dans une tasse de porcelaine bleutée quand je frappai nerveusement à sa porte et entrai sans attendre. Brandissant l’exemplaire du Paris-Normandie, je le lui collai contre la poitrine et me laissai tomber dans le pouf rose, la tête rejetée en arrière. Durant un vague moment, je gardai les yeux rivés sur le plafond puis, me redressant, je l’interrogeai du regard.
Posant tasse et journal sur la table basse, elle s’assit à même le sol et commença sa lecture. Quand elle eut fini de lire l’article, elle leva son visage vers moi : stupeur, stupéfaction, hébétude…
Sans mot dire, elle se dirigea vers une fenêtre qu’elle ouvrit et se pencha pour regarder la rue. Elle demeura ainsi, silencieuse, durant quelques minutes, avant de se redresser.
– Il flotte ! dit-elle en refermant la fenêtre. Sur quoi elle revint vers la table basse, s’accroupit et étala le quotidien devant nous. Je lus avec elle :
« Cyclone Taiiri et son chauffeur victimes d’un enlèvement ? »
« Dans la soirée de dimanche, Gisèle Cassatt, célèbre peintre et écrivain, aurait reçu un appel téléphonique de son époux l’informant que son chauffeur et lui avaient fait l’objet d’un enlèvement. Selon nos sources, Madame Cassatt aurait peiné à reconnaître la voix de son mari, la communication étant extrêmement mauvaise. Alertés par leur mère, les enfants du couple auraient tenté de joindre Monsieur Taiiri à sa villégiature normande, où il était parti pour travailler, sans succès : certaines lignes téléphoniques, endommagées par la tempête, étaient coupées.
Mais le lendemain matin, la concierge du domicile des peintres, avenue de Courcelles, apporte une enveloppe jaune, non oblitérée, dans laquelle on peut lire, inscrit sur un morceau de papier : « Gérard et moi sommes bien traités. Jeanne est aux Roches Noires. Des nouvelles rapidement ».
Toujours selon nos sources, la police serait à pied d’œuvre pour retrouver les deux hommes et aucune piste ne serait laissée au hasard. »
Je dissimulai mal un léger tremblement dans les mains et dans la voix.
– Je réessaye d’avoir Gülsha. Tu peux me passer le téléphone ?
Lili attrapa l’appareil derrière elle, tira sur le fil coincé sous le pied d’un meuble et le posa près de moi. Je composai le numéro sur le cadran. Une nouvelle fois, la voix me dit que mon correspondant n’était pas joignable. Je raccrochai en soupirant et ne vis pas d’autre alternative que de rentrer aux Roches Noires. D’humeur maussade, je quittai Lili qui me donna rendez-vous au phare après son service, passai au Normand récupérer le Solex et rentrai sous une pluie fine et avec le vent de face.
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