Les aventures de Jeanne Lançon (ou la vie alternative de Paul Éluard)
Le deuxième secret d’Odile s’appelait Nino Sperati. Marchand d’Art reconnu et estimé, Nino passait sa vie entre sa galerie à Honfleur et son mas dans le sud de la France. Nino avait rencontré Odile vingt ans plus tôt, alors que sa carrière débutait avec succès. Un ami commun l’avait invité au manoir afin de lui faire découvrir la volupté des lieux et de partager avec lui son goût pour les opiacées. Sa première rencontre avec Odile avait été décisive. Il était tombé sous le charme de cette petite femme pétillante, de dix ans son aînée, qu’il avait immédiatement eu envie de croquer. Car Nino peignait. Ce que très peu de gens savaient.
Rapidement, Odile et lui devinrent amants. Odile, dont la relation avec son époux était devenue platonique au fil des ans, avait redécouvert avec lui les plaisirs de la chair et ne se lassait pas de leurs étreintes passionnées. Quant à lui, séducteur impénitent et insatiable amant, il multipliait les conquêtes.
Des années durant, profitant des moments d’absence et du manque d’attention de son époux, Odile avait entrainé son amant dans une chambre mansardée située sous les toits du manoir. Dans ce petit refuge, à l’abri de toutes les indiscrétions, elle avait peu à peu découvert qui était Nino Sperati. Un grand homme brun, athlétique et magnétique, dont les yeux noirs pouvaient au choix vous anéantir ou vous ensorceler. Avec patience et habileté, Odile avait réussi à fendiller la carapace, à atteindre l’homme au cœur et à percer son mystère. Petit à petit, un amour sincère avait remplacé la passion première et avait lié les deux amants mieux qu’aucun serment n’aurait pu le faire.
Un après-midi d’été, alors qu’une chaleur écrasante annihilait tout désir de mouvement, paralysant hommes et animaux, Odile et son amant s’écartaient l’un de l’autre, dégoulinants et épuisés.
– J’aimerais que tu poses pour moi. Ici, dans cette pièce.
Odile avait ri :
– Ça risque d’être un peu difficile. Comment comptes-tu amener le matériel sans attirer l’attention ?
– De la même façon que tu te fais livrer de l’opium. Qui t’y aide ? Le jardinier ? Ce ne doit pas être si compliqué de faire monter ici des toiles et un chevalet.
Odile sourit, gardant pour elle le fait qu’elle n’avait aucune envie de poser pour lui. Il n’était pas question de remplacer ces heures fiévreuses et exaltantes par des moments figés et ennuyeux.
– Depuis quand tu es peintre ? Tu m’avais caché ça !
Nino se leva et saisit une serviette de coton blanc.
– J’ai commencé tôt. Enfant. Ma mère était professeur d’histoire de l’art. Elle m’a beaucoup appris. J’ai d’abord recopié des petites toiles, toutes simples. Mes parents étaient estomaqués. Ils riaient en disant que j’avais de l’avenir. Puis à l’adolescence je me suis lancé un défi : reproduire un Dali. Ça a bluffé tout le monde. J’ai commencé à produire des tableaux inspirés des plus grands. Pas des copies, des œuvres qu’ils auraient pu réaliser. Ma mère me comparait à un caméléon. Selon elle, je ne copiais pas l’artiste, je devenais l’artiste. Et puis c’est devenu une seconde nature. Un besoin. Une nécessité. Même les plus grands experts n’y ont vu que du feu.
Nino parlait en épongeant son visage. Voulait-il soulager sa conscience ou seulement partager son secret ? Médusée, Odile comprit que, depuis des années, son amant produisait des faux des plus illustres peintres, qu’il vendait ensuite aux galéristes, collectionneurs ainsi qu’aux musées les plus célèbres. Jouissant d’une solide notoriété, et fatalement entouré de complices, ses tableaux étaient authentifiés par les plus grands experts, vendus pour certains des millions de francs.
Il s’approcha du lit et contempla Odile : la blondeur entre ses cuisses, ses seins plantureux, la sueur qui perlait sur sa peau. Incapable de résister au désir qui le submergeait, il s’étendit contre elle et se glissa entre ses jambes.
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